« Le jardin des Tussilade recelait des mystères, du
moins si l'on était un enfant avec un tant soit peu
d'imagination. Pour les parents et la plupart des gens
qui avaient une vie professionnelle, des soucis et pas
le temps de s'ennuyer, il consistait en un ensemble
d'allées où poussaient des tulipes, des glaïeuls, des groseilles
excellentes en salade et une quantité de cette
mauvaise herbe nommée trèfle blanc. La table-terrasse
avec ses chaises en plastique était appréciable l'été, et
l'on pouvait même installer des transats sur le gazon
pour lire, mais on préférait faire la sieste lorsqu'il faisait
chaud. Quand il n'y avait pas trop de moustiques, on
déplaçait les transats au bord de la mare, près du grand
figuier.
Pour les enfants, la mare n'avait pas de fond. Ils ignoraient
si les écailles brillantes entre les mousses étaient
celles de goujons, ou de trésors. Dans le jardin fleurissaient
sans cesse des oeufs de Pâques, les branches
du figuier ou des lilas appartenaient plus au ciel qu'à
la terre et les groseilliers n'étaient qu'un passage vers
d'autres mondes, des tunnels de feuillages aquatiques
ou certains passages secrets saturés du parfum des
longues journées d'été. Les tulipes chantaient, et si
la brise du soir agitait leurs tiges c'était l'oeuvre d'une
bête invisible. Au crépuscule, quand la lampe à pétrole
teintait les arbres d'ombres violettes, des créatures
couraient dans les branches et on ne savait plus sous
les feuilles si c'était là-bas une étoile, une luciole ou
une paire d'yeux.